Une chapelle romane à Sari di Porto Vecchio

« Lorsque en 1959, j’ai visité les terrasses plantées en vigne qui occupent le site de San Pietro, à 20 minutes de marche sous le village de Sari di Porto Vecchio, je n’aurais pas osé espérer que des circonstances aussi heureuses permettraient à ces vestiges enfouis sous un énorme cubage de terre, de pierres écroulées et de maquis, de revoir la lumière du jour. »[1]

Geneviève Moracchini-Mazel

Médaillon en terre cuite figurant une vierge couronnée, trouvé derrière l’autel, lors des travaux de fouille en 1975

 

Et c’est sans doute la destinée du remarquable site de la chapelle San Petru d’alterner depuis le XIème siècle, et peut-être même avant, la lumière du jour avec les ombres de l’oubli, comme les transformations successives de l’édifice, les périodes de pratique religieuse et d’occupation païenne et enfin, dernier cycle en date, l’intérêt soudainement retrouvé pour ce témoignage de notre passé, inexorablement suivi de son retour à la sauvagerie du maquis.

En 1959, Martin Susini cultive encore la vigne à cet endroit et les restanques sont bien entretenues. Ce sont d’ailleurs elles, par les belles pierres équarries qu’elles recèlent, qui vont révéler à Geneviève Moracchini-Mazel l’emplacement de l’ancienne chapelle noyée depuis des siècles sous son couvert végétal.

La découverte est prometteuse mais il faudra encore attendre quelques années pour dégager le terrain et prendre la mesure de l’originalité de l’édifice.

En 1975, lorsque les bénévoles de l’ARSEC[2] se constituent en association et programment leurs premiers chantiers de fouille, c’est – avec la restauration de la tour de Fautea – le site de San Petru de Sari qu’ils choisissent de remettre à jour.

Photos source Arsec

Il y a en Corse, à cette époque, un réel engouement pour se réapproprier son passé et notamment la période du haut moyen-âge encore très peu documentée.

La municipalité, son maire Camille Poli et son adjoint Charles Susini, apportent leur soutien aux travaux, ainsi que plusieurs habitants du village.

Il n’empêche, le travail n’est pas mince :

« La première tâche accomplie a consisté en une importante opération de démaquisage – essouchage ; de gros troncs d’arbousiers, de chênes et de lentisques, (…) avaient poussé sur les amoncellements de pierre et il a fallu agir avec précaution pour extraire sans dégâts les souches et les racines ayant pénétré dans les sols et dans les murs. »[3]

Les photos ci-dessus montrent assez bien l’enthousiasme qui animait les bénévoles malgré la rusticité des moyens utilisés sur le chantier, que complique aussi l’éloignement relatif du village.

En remerciement du concours apporté par les habitants de Sari à la réalisation du chantier, la FAGEC[4] organise une de ses premières sorties sur les lieux.

Ces travaux de terrain sont suivis de la rédaction d’un rapport de fouille très complet paru la même année dans le n° 55 des cahiers Corsica, sous l’égide de la FAGEC.

Les enseignements des travaux de fouille

Pourquoi une chapelle piévane à cet endroit ?

Comme souvent, les édifices de culte de l’époque paléochrétienne ou romane sont la partie émergée de l’iceberg, ce qui reste quand les autres formes d’occupation qui se développaient à proximité ont disparu.

Sans doute, le vallon où se situe la chapelle, tourné vers la mer, l’Est et donc Rome, abritait-il une vie villageoise autour d’habitations sommaires, de huttes ou de simples abris de pierre qui n’ont pas été retrouvés ni même recherchés.

Pendant longtemps, la piévanie de Sagri elle-même disparait des tablettes et lorsqu’en 1536, Monseigneur Giustiniani effectue son recensement pastoral de la Corse, il note que celle de Sagri est désertée, sans doute le résultat d’une incursion barbaresque plus poussée que les autres et du repli consécutif des occupants plus haut dans la montagne, au petit hameau d’Erchiavari où subsistait, au mieux, une douzaine de feux.

De fait, le village de Sari est d’occupation relativement récente.

Sari di Porto Vecchio en 1959

Les deux histoires ne se croisent pas. Lorsque Sari entame sa propre destinée, désormais bien en vue sur son promontoire qui domine la plaine, celle du vallon caché de San Petru est déjà achevée mais peut-être pas complètement oubliée puisque quelques pierres bien travaillées provenant de l’ancienne chapelle viendront s’intégrer à l’actuelle église Saint-Pierre, comme un passage de témoin.

Sur le chantier, en 1975, les premiers coups de pioche révèlent très vite une architecture plus complexe que l’habituel plan rectangulaire adossé à une abside semi-circulaire, qui est celui coutumier des édifices religieux du Roman insulaire. En effet, une fois les arases de murs dégagées, on découvre non pas une mais deux nefs accolées l’une à l’autre, cas assez unique parmi les chapelles romanes de Corse.

A gauche, la nef principale consacrée à San Petru, à droite la nef annexe avec sa cuve baptismale probablement dédiée à San Giovanni Battista

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Plus encore, l’enchevêtrement des murs qui apparaissent, l’examen du mouvement des sols, l’étude des pierres d’ornement ou de fonction montrent à l’évidence que l’édifice a subi plusieurs bouleversements et reconstructions s’étalant probablement du Xe au XIVe siècle et modifiant assez profondément son aspect au fil du temps.

Sur place, les matériaux manquent pour reconstituer le puzzle de façon certaine. Les claveaux surmontant les portes sont très incomplets, des archivoltes sont manquantes ainsi que bon nombre de pierres taillées, sans doute réemployées dans les murs agricoles qui avoisinent le site. Les interprétations possibles sont donc nombreuses.

Hypothèses de construction et reconstruction aux différentes étapes de l’histoire du site

Nettoyage du site en 2016. Au premier plan, la nef baptismale. En contre-haut, la nef principale délimitée par son mur nord en petit appareillage de pierres, le plus ancien du site, datant probablement du IXe siècle.

Autel de la nef principale (Nord) et son abside

Grande dalle monolythique, fracturée, qui appartenait à l’autel ci-contre comme entablement ou encore comme emmarchement, à l’image de l’un des seuls autels du roman primitif qui nous soit parvenu intact (chapelle Santa Maria de Cambia

Les fouilles des terrassements révèlent également la présence de mobiliers divers tels que des tessons de céramique, des fragments d’enduits peints qui prouvent que l’abside était, à l’origine, probablement ornée de fresques, ainsi que des pièces métalliques (broches, fibules, médailles, clous forgés, etc..) et une collection d’une vingtaine de monnaies de différentes époques et origines.

Exemples d’artefatcs retrouvés lors des fouilles

Une étude spécifique de l’origine de ces monnaies a permis d’identifier des deniers, quartaros, quattrinos et grossos provenant principalement de plusieurs cités de la péninsule italienne (Gênes, Florence, Sienne, Rome) ainsi que de Sardaigne et de la péninsule ibérique (Catalogne, Aragon, Barcelone), datées entre le XIIe et le XIVe siècle.

D’autres pièces, marquées de la lettre « B », semblent provenir de Bonifacio, à une époque où la ville avait le privilège de battre monnaie sous le contrôle de la Sérénissime.

Cette diversité des monnaies retrouvées dans la terre de ce vallon reculé montre à quel point les échanges étaient importants à cette époque et empruntaient alors des canaux bien différents de ce qu’on pouvait attendre de cet endroit.

En résumé de ce rapport de fouilles, Geneviève Moracchini-Mazel conclut :

« La piévanie de Sagri est une église médiévale offrant un plan à deux nefs. C’est le seul cas actuellement observé en Corse, sous cette forme en tous cas, puisqu’il existe en fait des sanctuaires à deux absides et des églises doubles, c’est-à-dire placées l’une contre l’autre (Carbini). Il s’en trouvera peut-être d’autres dans nos futurs travaux et c’est la raison pour laquelle il conviendra de reprendre dans quelques années l’étude de ce plan peu courant. […] »[6]

Malgré tout, s’en suit, pour le site de San Petru, une longue léthargie de plus de quarante ans lors de laquelle, à l’exception de quelques entretiens épisodiques par un amoureux de l’endroit, la végétation accapare à nouveau les lieux. De loin en loin, au hasard d’une conversation avec des anciens, on évoque ces ruines, dorénavant presque invisibles sous leur couvert végétal, au fond du vallon que domine le belvédère de la Penna.

Puis, le hasard faisant son œuvre, un couple d’archéologues –Claudine et Philippe Deltour-Lévie- qui a courageusement repris le travail de Géneviève Moracchini-Mazel et entreprend de recenser et documenter l’ensemble des chapelles romanes de Corse, exprime son désir de visiter le site de San Petru.

C’est l’élément déclencheur pour un regain d’intérêt qui commence, chose singulière, par une nouvelle recherche… puisque, avec quelques-uns, nous nous retrouvons, un beau jour de 2015, dans la même position et aussi démunis que les découvreurs de 1959. Au prix d’une progression pénible dans le maquis, guidés à distance par Paul-François Susini, propriétaire de la parcelle principale, le site nous réapparait alors, intact, tel une belle endormie, et finalement bien protégé par son écrin végétal.

La même année, en résumé de sa visite des lieux, Claudine Levie écrivait :

« […] On pourrait retracer l’histoire mouvementée de ce site en plusieurs phases :

  • Fondation au 10e siècle (mur nord et angle nord-ouest)
  • Effondrement de la nef baptismale entrainant une partie du mur ouest.
  • Reconstruction de la partie effondrée au 11e siècle avec ceinturage de l’abside et décor des portes avec arcs décorés de rinceaux.
  • Décor de fresques et adaptation (notamment réduction de l’arc décoré de rinceaux) au 14e siècle.

Les vestiges sont aujourd’hui à nouveau envahis par un jeune maquis très luxuriant. Il serait vraiment intéressant de faire aboutir le projet de valorisation en cours, projet qui intègrerait le site de San Pietro di Sagri dans un circuit de découverte de la région de Sari-Solenzara.[…] »

Le comité paroissial de Saint-Pierre, piloté par Dominique Susini, s’empare du projet de réhabilitation, lance les demandes et fédère les volontés. De fait, les planètes semblent s’aligner :

  1. Un document d’objectifs pour la réhabilitation et la mise en valeur du site est rédigé et soumis aux instances municipale et communautaire[7] ainsi qu’au PNRC.
  2. La municipalité de Sari-Solenzara, sollicitée, nous apporte le concours de ses agents pour le nettoyage initial du site puis prendra une délibération reconnaissant :
      • Connaître le projet
      • Son intérêt collectif, historique et scientifique pour le patrimoine de la Corse et de la Commune
      • L’opportunité d’inscrire ce patrimoine dans l’offre culturelle et touristique du territoire, pour en améliorer l’attractivité et valoriser son image
      • L’étude ultérieure d’un soutien financier pour la réalisation du projet.

(Extrait délibération CM du 11/05/2017)

Opérations de nettoyage réalisées en 2016 par le personnel municipal.

  1. Le Parc Naturel Régional de la Corse s’intéresse au projet avec pour but de redynamiser le sentier Mare e Monti. Plusieurs réunions ont lieu sur le site avec le concours de Pauline Peraldi. Deux stagiaires réfléchissent de leur côté à un projet de mise en valeur et d’aménagement du site pour l’accueil du public, en l’intégrant dans une boucle thématique courte à travers le village. Bonne pioche, les sentiers existent, il suffit de les remettre en état. Réparer le pierrage, remonter les murs de bordure n’est, somme toute, pas la mer à boire.
  1. En juin 2017, à l’invitation du Comité paroissial, Stéphane Orsini, directeur de la FAGEC, donne une conférence sur l’état des recherches archéologiques conduites sur le site de San Petru, laquelle est relatée dans les colonnes de Corse-matin :

« Sous l’éclairage de Stéphane Orsini, les participants ont pu mieux appréhender la dimension et l’essence du projet ainsi que certains paramètres administratifs, règlementaires ou financiers. Des structures telles que la CTC, le Conseil Départemental, la Direction régionale des affaires culturelles, le Parc régional, l’Office de l’environnement, peuvent contribuer, avec l’aide des archéologues et de la commune, à établir un dispositif de pilotage qui permettrait de mettre en route une démarche de concertation pour soutenir ce projet de réhabilitation.[…][8]

 

La question se pose effectivement de la nécessité de fouilles archéologiques complémentaires par la DRAC[9] avant l’ouverture du site au public.

Conclusion

Aujourd’hui, les ruines de San Petru sont retournées au silence. La fièvre est retombée.

Nous n’avons pas su faire aboutir l’idée.

Manque de ténacité, manque de soutien ou plus prosaïquement manque de sous. Peut-être le projet était-il trop lourd à porter seuls, sans une aide municipale plus affirmée ? Toujours est-il que la parenthèse s’est refermée.

Et ici, quand la fièvre retombe, à la fin c’est toujours le maquis qui gagne.

Alors oui, peut-être un beau projet pour ceux qui viendront après nous. Au moins, avons-nous le maigre mérite de le leur transmettre tel quel.

Souhaitons à ceux-là le même émerveillement qui fut le nôtre il y a quelques années de ça, lorsque fourbus et égratignés par tant de ronces, nos pieds buttèrent contre une première marche, puis un bout de mur, puis un magnifique claveau sculpté qui nous attendait là, intact, depuis des lustres…

« Partout, j’ai trouvé des cendres encore chaudes et je les ai ravivées du mieux que j’ai pu »

(Antoine Ciosi)

Pour approfondir :

  • Cahier Corsica – Fagec – N°55 – La Piévanie de Sagri – Geneviève Moracchini-Mazel – Bastia 1975
  • Les édifices romans de la Corse – volume 2 – Claudine et Philippe Deltour-Levie – Mars 2022 – Editions Alain Piazzola – pages 210/213.
  • Corse-matin, Edition du 18 juin 2017, page plaine orientale – Jean Dealma
  • Site internet Corse romane – Claudine et Philippe Deltour-Levie ( la chapelle de San Petru n’y figure pas mais la richesse du site mérite la visite)
  • Rapport de valorisation de l’église piévane oubliée de Sari – auteur PNRC – diffusion limitée
  1. Extrait page 67, Cahier Corsica n°55 – Geneviève Moracchini-Mazel – La piévanie de Sagri – 1975
  2. Association pour les Recherches dans le Sud Est de la Corse
  3. Extrait page 68, Cahier Corsica n°55 – Geneviève Moracchini-Mazel – La piévanie de Sagri – 1975
  4. Fédération d’Associations et Groupements pour les Etudes Corses
  5. Extrait page 74, Cahier Corsica n°55 – Geneviève Moracchini-Mazel – La piévanie de Sagri – 1975
  6. Extrait page 83, Cahier Corsica n°55 – Geneviève Moracchini-Mazel – La piévanie de Sagri – 1975
  7. A l’époque la Communauté de Communes de la Côte des Nacres
  8. Jean Dealma, Corse Matin 18 juin 2017
  9. Direction Régionale des Affaires Culturelles